Initiative de journalisme local
Des chercheurs de l’Université de Tokyo et l’entreprise Sumitomo Forestry ont annoncé leur intention de lancer un premier satellite en bois en 2023. Du moins, ils tenteront de le faire en misant sur la recherche fondamentale pour permettre l’utilisation du bois dans des conditions extrêmes, ce qui pourrait augmenter également l’utilisation du matériau dans la construction de gratte-ciel. Mais est-il vraiment possible d’envisager l’envoi de satellites en bois dans l’espace ? Le bois a été utilisé jusqu’au début des années 1930 dans la construction des avions, avant d’être remplacé par d’autres matériaux, comme les métaux, l’aluminium et les composites. Par le passé, le bois a même déjà été utilisé sur des petites parties de satellites. Entre 1969 et 2006, les Chinois ont construit quatre modèles de satellites récupérables, munis d’un module de chêne imprégné, qui servait de bouclier thermique, lors de l’entrée du satellite dans l’atmosphère. Du bois de balsa a aussi été utilisé par la NASA dans Ranger 3, un véhicule spatial qui est allé prendre des photos de la Lune en 1962. Le module en bois servait d’atténuateur d’impact pour protéger certaines composantes lorsqu’il s’est écrasé sur la Lune. En décembre dernier, un groupe de chercheurs japonais et l’entreprise Sumitomo Forestry ont décidé de pousser le concept encore plus loin. Ils espèrent lancer un premier satellite en bois dans l’espace en 2023. L’objectif est ambitieux, et les chercheurs souhaitent avant tout tester différentes essences de bois et différents traitements qui pourront résister aux environnements extrêmes sur terre. Le chercheur principal de l’étude, Takao Doi, professeur à l’Université de Kyoto et astronaute japonais, soutient que l’utilisation de satellites en bois permettrait de réduire la pollution dans l’atmosphère, lorsque les satellites chutent en fin de vie. « Nous sommes très préoccupés par le fait que tous les satellites qui rentrent dans l’atmosphère terrestre brûlent et créent de minuscules particules d’alumine qui flotteront dans la haute atmosphère pendant de nombreuses années. » — Takao Doi, à la BBC Au lieu d’un satellite avec de multiples équipements déployés tout autour, tous les équipements seraient intégrés dans une coquille en bois, protégeant ainsi les antennes et les pièces électroniques à l’intérieur, car le bois n’interfère pas avec les ondes électromagnétiques. La coquille en bois brûlerait totalement lorsqu’elle retombera dans l’atmosphère terrestre, en fin de vie. Les promoteurs espèrent ainsi réduire la quantité de déchets dans l’espace, alors que 6000 satellites sont en orbites présentement, dont 60 % sont obsolètes, selon le Forum économique mondial. La firme Euroconsult estime qu’il y aura 15 000 satellites en orbite autour de la Terre en 2028. Le bois résistera-t-il ? Selon Mike Gruntman, un professeur d’astronautique à l’Université Southern California, l’idée d’utiliser du bois dans l’espace est absurde, même si c’est possible de le faire. « On retrouve beaucoup d’eau emprisonnée dans le bois, dit-il. Étant donné qu’il y a des écarts de températures énormes dans l’espace, le gel pourrait causer des dommages structurels et des ruptures. » Selon Philip D. Evans, professeur de la faculté de foresterie de l’Université de Colombie-Britannique, il est possible de traiter le bois pour retirer assez d’eau afin d’éviter les problèmes dans l’espace. « Des pièces en bois ont déjà résisté à l’espace », précise-t-il. Ce dernier estime que c’est plutôt l’érosion spatiale, causée par les rayons gamma et ultraviolets, qui pourrait dégrader prématurément le bois. Par exemple, ce dernier estime que des composites laminés faits avec du bois traité pourraient résister à l’environnement spatial. Le bois pourrait aussi être imprégné avec des produits chimiques, comme des produits contenant de la silice incorporée dans des polymères, explique-t-il. Les chercheurs japonais souhaitent d’ailleurs tester différents traitements, notamment sur les essences de cèdre et de bouleau. Jusqu’à présent, le projet de recherche est encore embryonnaire et aucun prototype n’a été construit. Un des problèmes est de faire des tests avant d’envoyer le satellite dans l’espace. « Il est très difficile de recréer l’environnement spatial », ajoute Philip D. Evans, alors que la NASA possède un des seuls endroits pour faire de tels tests. Sans pouvoir faire de vrais tests de produits, ce dernier doute qu’un groupe essaiera de lancer un satellite en bois sans être convaincu que l’opération fonctionne. « Ça coûte cher d’envoyer des objets dans l’espace », soutient-il. Ce dernier doute qu’un satellite en bois soit lancé dans l’espace d’ici quelques années, mais il croit que la recherche fondamentale qui sera réalisée permettra des avancées pour l’utilisation du bois sur terre. D’ailleurs, Sumitomo Forestry, une entreprise qui construit des bâtiments en bois, travaille sur un projet de gratte-ciel en bois de 350 mètres de haut à Tokyo, un projet qui devrait être terminé en 2041. Même si un satellite en bois ne décolle pas de sitôt, la publicité pour l’entreprise a atteint des sommets avec l’annonce d’envoyer du bois dans l’espace. Mais même si ce projet se réalise, il ne permettra que de réduire la pollution spatiale. « Les panneaux de bois brûleraient à l’entrée de l’atmosphère, mais toutes les pièces métalliques à l’intérieur, les composantes électroniques, les systèmes informatiques, les batteries et autres, brûleraient dans l’atmosphère de manière conventionnelle », conclut Mike Gruntman. NoneGuillaume Roy, Initiative de journalisme local, Le Quotidien